Jeudi matin je suis arrivée à l'école de plutôt bonne humeur. Selon mon agenda, j'avais juste un rendez-vous à 15h avec la fucking-everyday-late mère de Paco, cela voulait donc dire que j'allais avoir du temps pour les travaux qui demandent du calme et de la réflexion tout le restant de la journée. En langage de mes collègues, ça signifie du temps pour ranger la salle des maîtres, aller mettre les cartons qui traînent au recyclage, faire cuire des gâteaux, faire le café, me faire les ongles, jouer au babyfoot, fumer des joints et me jeter contre les murs, payée à rien foutre quoi. Mais évidemment il n'en a pas été ainsi.
Moi je pensais qu'avec un début de semaine pareil, la journée ne pouvait être que meilleure ... Erreur! on ne peut savoir quand on a vraiment touché le fond que lorsqu'on s'y cogne, les jours précédents je n'avais fait que boire la tasse.
Je gère les petits contretemps du matin, répartition des élèves d'une collègue absente, changement de classe de Nassim qui exécute la danse frénétique du doigt d'honneur, tout ça, tout ça et j'envoie les affaires courantes, bref, vers les 10h30 à peu près, je suis prête à attaquer les dossiers en cours.
Et là, frappe à ma porte une élève de Thérèse Lafaille qui vient me chercher parce qu'Anton, le fils de Mme Jeanmarie de l'article "Nounou et Boubou", s'est barré de la classe. Anton qui depuis plusieurs semaines s'est mis à tellement haïr tout le monde (tiens, comme c'est étrange lui qui a été élevé dans le respect et la tolérance) qu'il ne supporte plus rien. Tout est nul, le gamin devant lui le dérange, celui derrière aussi, celui de gauche ET celui de droite (pourtant celui-là pourrait trouver grâce à ses yeux non? Non! Extrêmement pas assez à sa droite), les exercices qu'on lui propose sont nuls, les activités sont nulles, les animateurs du CLAE sont nuls, la maîtresse est nulle (bon ça c'est vrai, mais c'est pas une raison pour succomber à la mode de cette année chez les CM1 qui consiste à sortir de la classe et se planquer quelque part dans l'école, voire à s'enfermer dans les toilettes façon Miguel touch! cf article précédent.).
J'y vais.
J'avoue, je ne suis pas dans la précipitation parce que ce n'est pas la première fois. L'autre jour déjà, j'ai marché derrière lui jusqu'aux locaux de la Maternelle, puis je l'ai suivi jusqu'à l'étage et suivi encore lorsqu'il redescendait vers la cour et quand j'ai fini par presser le pas parce que dehors il faisait froid, que je n'avais pas mon manteau et que j'estimais que 3 minutes à marcher derrière lui en lui demandant calmement de s'arrêter pour me dire ce qui le contrariait ça suffisait et que je l'ai attrapé par la manche, il a commencé à râler parce que je le traitais "comme un chien". Alors oui, je sais, il ne faut pas toucher les enfants sauf s'ils se mettent en danger ou s'ils mettent en danger les autres mais franchement, s'ils nous brisent les roubignoles on ne peut pas considérer cela comme une mise en danger? Sans déconner, je suis censée le suivre sur combien de kilomètres si monsieur ne daigne pas m'écouter? Non parce que sinon, moi je veux qu'on me fournisse un fusil à seringues hypodermiques hein, là hop, personne n'est blessé, personne ne risque plus de faire de mal à personne et on est tranquille pendant un moment. Enfin, faudrait m'apprendre à tirer quand même parce que sinon je risque tout de même de faire quelques dégâts.
Et je suis d'autant moins pressée que Thérèse me court sur le haricot et qu'en plus on a décidé en conseil des maîtres que pour ce genre de cas on devait faire appel à nos médiateurs en service civique, encore une décision pour l'aider qu'elle ne prend pas en compte,donc j'y vais, mais pas en sautillant (ce qui, comme dit mon fils, 1) est une manière sportive de se déplacer, 2) permet d'aller plus vite et 3) fait toujours plaisir, parce que lorsqu'on se déplace en sautillant, ça rend heureux! Essayez, vous verrez, vous m'en direz des nouvelles!).
Je finis par retrouver Anton et il me suit jusqu'à sa classe, envoûté par la Force avec laquelle mon corps fait corps, je n'ai même pas besoin de le toucher. Bon mais arrivés en classe évidemment, le sort s'évanouit, trop de mauvaises ondes dans cette classe, et il se plante devant le tableau. Palabres, sermons et gros yeux, Anton se dirige vers sa table. Mais il n'a pas fini de nous faire suer évidemment, il tourne sa chaise et s'asseoit dos à la classe, puis comme ça ne suffit pas, il met les pieds au mur. Avec Thérèse on y va et re palabres et re sermons et vas-y que je te soulève avec ta chaise pour te remettre à l'endroit (oui c'est moi Mister T, j'ai même les bijoux en or), moi j'ai tout donné de mon calme désenchanté et je suis à deux doigts de tenter la choré de Mylène Farmer pour faire diversion et rigoler un peu ("Je n'ai trouvé de repos, que dans l'indifférence, pourtant, je voudrais retrouver l'innocence, mais rien n'a de sens, et rien ne va .… Tout est chaos oh oh, à côté, tous mes idéaux, des mots abîmés. Je cherche une âme qui pourra m'aider, je suis d'une génération désenchantée, désenchantée"). La classe de Thérèse ne peut plus bosser. Tout cela est vain, je décide de m'en aller à mon tour et d'aller chercher la conseillère pédagogique qui est en visite dans une autre classe.
J'y vais, on discute de ça et d'autres sujets et puis finalement je remonte seule pour voir où on en est. Arrivée sur le pas de la porte, je vois Anton, à l'autre bout de la classe debout un genou sur sa chaise, le lui fais remarquer, et bien évidemment avec son air vicelard, il me dit qu'il n'est pas le seul, ce qui est vrai mais comme il dit toujours ça, je lui réponds que je suis montée pour lui, que cela commence à bien faire pour aujourd'hui et qu'il ferait mieux de faire en sorte de se comporter correctement et de respecter les règles établies avant de vouloir que tout le monde se plie à ses désirs. Les autres s'asseoient.
Et lui, en quelques secondes, se tourne, ouvre la fenêtre, monte sur sa chaise et enjambe. PUNAISE! Il a décidé de passer par la fenêtre du 1er étage!
Moi j'étais à l'autre bout de la pièce, sur le coup je n'ai pas bondi parce que je n'y ai pas cru, j'ai tout d'abord pensé à la fois à une énième provocation de sa part et au fait que ce qui se déroulait devant mes yeux faisait partie des choses qui figurent dans le grand sac des trucs qui n'arrivent pas en vrai dans ta vie mais dans celle d'autres gens, loin ailleurs. Ensuite, le temps que je démarre, il a fallu que j'évite les tables, bref, heureusement que Thérèse était, elle, plus proche parce que c'est elle qui l'a rattrapée par le pantalon. Sans elle, ce con d'Anton se serait au mieux brisé un membre en atterrissant un étage plus bas. Moi j'ai été nulle. Sidérée. Ah ça je n'ai pas crié comme Thérèse, je suis restée calme, calme, même pas la moindre lueur d'énervement au fond de moi, comme dans les profondeurs du grand bleu, mais je n'ai servi à rien.
J'ai juste récupéré Anton par le poignet et je suis sortie laissant la classe dans un grand OUF entre peur et soulagement. Et flanquée d'Anton en pleurs (qui ne voulait pas attenter à son intégrité mais s'échapper une fois de plus en utilisant cette fois la sortie la plus proche), j'ai géré l'après (inspection, conseillère péda, re inspection, médecin scolaire, psy, re inspection, parents, service santé des élèves, etc ...).
C'est dingue, ça s'est passé devant mes yeux et je n'y crois toujours pas!
Heureusement dans tout ce merdier, l'après-midi la maman de Paco m'a posé un lapin et m'a appelé exactement 24 minutes après l'heure de notre rendez-vous pour me dire "Ouais, on devait se voir là mais je suis prise par le boulot, donc faudrait faire ça plus tard." Pas une excuse, pas le moindre sentiment d'inconvenance, toute en grossièreté banale, ça m'a fait du bien de reprendre contact avec la réalité.
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