Je prends Désyré dans mon bureau entre 4 yeux, depuis ce matin, il fait chier : il est venu avec un téléphone portable, a mis la musique dessus pendant qu'il était en classe, ne fait que répéter qu'il ne travaillera pas tant qu'on ne le lui aura pas rendu (mais si on lui rend, va-t-il enfin comprendre, en CM1, que B et A font BA et pas LE, mystère magique?), il s'est couché puis roulé par terre pendant que la classe regardait une vidéo, s'est échappé alors que sa maîtresse l'avait mis un peu dans le couloir, il a fallu partir à sa recherche, il fait des doigts d'honneur à tout va et, alors qu'il est puni, il s'en va courir dans la cour. Bref, il fait chier, je ne vois pas comment le dire autrement, et donc je m'en vais le lui signifier de toute mon autorité.
D'habitude, il se tient plutôt bien dans mon bureau et j'arrive à apaiser les choses, mais là, moi-même je n'ai pas envie d'être conciliante, même quand on n'a pas la lumière dans toutes les pièces, j'estime qu'on n'est pas obligé d'en profiter pour être pénible. Ce gosse a une vie plutôt merdique certes, mais il ne fait que ce qu'il veut (d'où le portable indispensable quand on est en CM1, car comme a dit sa mère : "Ne le prends pas fils, y'a personne qui va t'appeler de toutes façons!", aucune envie de fermeté maternelle mais tout de même un peu de bon sens, n'est-ce pas?).
Il est là donc, vautré sur une chaise, me répondant mal. Je me lance dans un discours mi-admonestation mi-sermon :
- Mais, si tu étais à la place de la maîtresse, tu voudrais t'occuper d'un élève comme toi?
- Bah, c'est son boulot!
- Euh, non, son travail c'est de faire progresser les élèves, pas de les supporter (petit con).
Et j'en arrive banalement à :
- Mais pourquoi est-ce que tu viens à l'école?
- (Lui, en litanie.) Pour apprendre à lire, à écrire et à compter.
- (Moi, en mode Super Nanny.) Et tu crois vraiment qu'avec cette attitude là, tu vas réussir à apprendre à lire?
- A-AH! Les aut' y savons lire alors tu leur disons pas ça aux aut' hein!
(Avouons-le, rien que pour cette réplique, l'instant vaut d'être vécu, c'est de l'or en feuilles.)
- Ben non, je ne leur dis(ons) pas ça, mais je leur dis : "Tu crois que c'est comme ça que tu vas apprendre des choses?". On n'apprend pas que à lire et à écrire ou à compter à l'école, tu sais?!
- ...
Enfer et putréfaction, je crois qu'il ne savait pas dites donc (enfin, disez donc ou tu disons donc), il m'a regardé d'un air de défi et m'a dit :
- Ah ouais, ouais, et ben vas-y, dis un truc d'autre qu'on apprend à l'école hein! Allez, vas-y UN truc! (comme j'aurais pu lui dire "Donne-moi une seule bonne raison pour ne pas t'en coller une." Pareil.)
J'ai tâté furtivement l'abîme insondable de son incompréhension, la profondeur abyssale m'a d'abord fait bredouiller puis je lui ai sorti :
- Les pourcentages, les vitesses moyennes (oui, oui, ça fait partie de ce que je vais bientôt attaquer avec mes élèves alors c'est ça qui est sorti en premier), les intégrales (ça, pourquoi, je ne sais pas), l'histoire de France (Ah ça oui : "Vive la France!").
Il m'a regardé à la fois interdit et suspicieux. Alors j'ai continué, revigorée que j'étais d'avoir repris la main :
- Mais enfin, tu te doutes bien que les enfants de CM2 par exemple, ils n'apprennent pas les mêmes choses que les CP? Tu le vois bien dans ta classe, les autres, ils apprennent autre chose...
Bah vu sa tronche, il ne s'en était jamais rendu compte. En même temps, je vous rappelle que lui ça fait déjà 4 ans (enfin, si on compte un temps complet de présence ça ne doit faire que 2) qu'on se racle la couenne à lui prévoir, en gros, un programme personnalisé de CP en maths et français donc bon il a des circonstances atténuantes. Mais enfin? il ne s'était jamais vraiment posé la question de ce que peuvent faire les autres élèves pendant que lui et son nombril hypertrophié continuent à nous sortir "B et A, ah oui, je le connais celui-là, ça fait LE." Punaise, mais ... allez, file-moi ton Bic là, je suis certaine que si j'insiste bien et que je me fais des centaines de petits pointillés au même endroit, je vais réussir à m'ouvrir les veines.