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makarotte.com

Ecole, rire et râleries.

Faire et Agir, l'art du verbe ou la magie de la communication

Publié le 8 Janvier 2020 par KRo

Christine Renon s’est suicidée et ensuite tout a changé.

Nan j’déconne.

Cette directrice qui a mis fin à ses jours dans son école après avoir bien pris soin de laisser des courriers expliquant son geste doit se retourner dans sa tombe, enfin non même pas, elle doit se dire qu’elle avait bien anticipé le fait que rien ne bougerait, hélas.

Alors de la com’ on en a eu hein. Des flots d’emails venus de tous les horizons de notre hiérarchie, du ministre, du DASEN, de l’IEN, des mails par dizaine pour nous dire « les directeurs on vous aime, on vous respecte », ça me fait penser à l’ancienne maîtresse E qui ne voulait pas qu’on bouffe les chats parce qu’on les aiiiimeu nous les chats. Feu Mme CO2, feu.

Donc nous avons reçu pléthore de messages. Toi tu veux plus de temps de décharge pour pouvoir bosser dans ton bureau, plus de reconnaissance hiérarchique, plus d’argent, moins de messages en double ou triple et moins de documents administratifs foireux et se superposant les uns aux autres et eux t’envoient des emails et encore des emails… mais attention hein, des emails réfléchis hein, avec même de la vidéo dedans dis donc. Ben oui parce que quelqu’un quelque part au ministère a dû penser qu’en voyant la gueule de Blanquer ça nous empêcherait d’avoir envie de nous suicider… euh … drôle d’idée quand même, il a plutôt une gueule à vouloir se foutre en l’air qu’à vouloir s’envoyer en l’air, il faut bien le dire … même si question gland, on ne peut pas dire qu’il soit en reste, il faut lui accorder cela.

Et puis dans tout cela il y a eu des annonces. Aaaaaah les annonces … les annonces de ce ministère, ce sont des bonbons, des petits chocolats mais façon crocrottes, la petite bouchée au chocolat qui peut éventuellement te faire envie au départ sur un malentendu, mais qui est en fait vraiment dégueu quand tu l’as dans la bouche parce qu’elle est fourrée d’un truc rose sucré immonde que tu ne sais pas vraiment ce que c’est. 

Alors déjà juste avant la rentrée on avait eu le droit à l’annonce de l’augmentation générale de 300 euros ! Whouhouh ! 300 euros par mois dis donc ces salopiauds d’enseignants ils s’emmerdent pas hein. C’est toujours les mêmes qu’en croquent. 
Bon, il fallait donc comprendre 300 euros de plus par an à partir de 2020, soit 25 euros brut par mois, pas de quoi s’exciter non plus. J’suis bien aise moi en plus parce que cette année mes fils vont avoir 20 ans donc je vais perdre l’avantage de la prime dite de « complément familial de traitement » qui approchait les 180 euros par mois, ne me resteront que les 180 euros de la prime de direction qui diminuera également si on ferme une classe à la rentrée. Chouette ! Je précise parce que le ministre parle souvent des primes des enseignants mais dans le primaire, si on est un simple enseignant dans une école lambda, il n’y en a pas, en dehors du complément familial de traitement. 

Ensuite, dans la même veine (ooooh la veine!), Blanquer a octroyé aux directeurs d’école une journée de décharge de direction supplémentaire. Ouais gros, une journée en plus dans ma semaine pour bosser au bureau, c’est bon ça ! C’est à partir de quand ? C’est pour tous les directeurs ou cela va dépendre du nombre de classes de l’école ? 
Hophophophophop, je t’arrête là jeune fille, tu t’emballes. 
Alors c’est drôle, même des collègues y ont cru. Et en dehors du monde enseignant, on m’a même rapporté que certaines personnes croyaient qu’on allait nous donner une journée de vacances en plus (bon ça n’a aucun sens et on ne l’a jamais demandé, mais c’est drôle de voir les effets de telles annonces, là on est au niveau de « 100 % des gagnants ont tenté leur chance » ou de « fat free » sur les sucettes, ce n’est pas faux, mais on est quand même dans de la belle enculerie.). Là donc, il fallait lire la suite de l’annonce de M. Blanquer qui était : « … entre novembre et décembre ». Sans doute qu’avec ses poteaux du ministère ils se sont dit : 
- Tu vois pas que pendant l’hiver y’en ait plusieurs qui se défenestrent, ça ferait pas du bien à notre image ça avant les fêtes, déjà qu’ils vont devoir encaisser le fait de partir à 64 ans avec 1200 euros de retraite.
- Excuse-moi Jean-Mi mais 1200 euros c’est pour ceux nés avant 1975, pour les autres ce sera plutôt 1000 euros.
- Mmmm
- 1200, 1000 on n’est pas à 200 euros près là, Gilbert, ça fera toujours moins qu’un professeur stagiaire en début de carrière.
- C’est pas faux ça Jean-Phi, mais bon avec tout le merdier qu’ils accumulent dans leur baraques ces cons, ils auront toujours de quoi s’isoler avec des boîtes d’œufs, se faire du mobilier en papier mâché ou brûler des manuels pour se chauffer.
- Ah, ah, Gilbert, quel con, t’es pas le dernier pour la déconne toi !
- Bon alors qu’est-ce qu’on fait ?
- Les gars, j’ai pas que ça à foutre, je suis ministre moi les mecs, j’ai des louches à serrer, des papiers à signer, des vidéos à tourner. On a qu’à leur filer un jour de décharge supplémentaire voilà, comme ça ils nous foutront la paix, j’annonce ça, ensuite Jean-Phi, dans le BO t’écris que ce sera une journée d’ici fin décembre et pis c’est tout putain, ils vont quand même pas tous se jeter du premier étage, merde ! 
- Ah, ah, Jean-Mi, quel con, t’es carrément un vicieux mon pote, putain mais souris pas trop quand tu feras ta vidéo parce qu’ils pourraient mal le prendre quand même, y’en a qui sont un peu fourbes.

Donc voilà, un jour, tu reçois un coup de fil et on te dit que la semaine suivante tu seras en classe un jour de moins. Toi tu as préparé ta semaine déjà évidemment, parce que contrairement à la légende, tu ne te pointes pas le matin avec aucune idée de ce que tu vas bien pouvoir faire faire à tes élèves dans la journée (Ah, tiens, je vais les emmener embrasser des arbres, c’est cool ça, et puis après on se fera un petit mandala suivi d’un coloriage magique sur les tables de multiplication, je dois avoir ça au fond de mon armoire, pop pop pop). Tu prends donc du temps en plus pour revoir tout ça et tout détailler par écrit à l’attention de ton remplaçant, lui expliquer quoi faire et comment le faire, avec quels cahiers, quelles leçons, quels exercices, quels devoirs, histoire qu’il ou elle t’avance dans ton boulot de classe, sinon ben ça te fout juste dans la merde dans ton planning … tu revois ce que tu avais initialement prévu parce que ton projet artistique t’as pas envie que ce soit un autre qui le prenne en main et te fasse une grosse merde, donc tu prévois autre chose, tu décales le restant de ta semaine, tu t’arranges avec les collègues pour avoir une salle, bref, ça t’aura demandé du boulot supplémentaire quoi mais bon allez, t’auras une journée de plus au bureau. C’est cadeau.

Et puis aussi, il y a eu le groupe de parole, pardon, le temps d’échange avec les directeurs. Je vous résume, il s’agit de 2h (oui, ils n’avaient pas tellement envie qu’on s’étale non plus), au cours desquelles on nous a demandé de dire un truc qui va, un truc qui ne va pas et de donner une idée d’amélioration.
Ensuite, l’Inspectrice a lu les messages, a noté des trucs dans un rapport au DASEN parce que c’était ça le plus important, qu’il y ait une trace du fait qu’elle avait bien honoré sa mission de recevoir la parole des directeurs dans le cadre d’un échange clairement formalisé.
Elle a écarté les éléments sur lesquels « de toutes les façons, ça on n’y peut rien » comme le salaire (amusant non?) et la question de la reconnaissance (parce que « ça vous le savez, à mon niveau comme au dessus, nous sommes conscients de l’importance de votre travail ». C'est cela oui.  Mais je ne suis pas objective, moi je suis restée bloquée sur la fois où, fraîchement nommée Inspectrice dans ma circonscription, sans me connaître ni connaître davantage les difficultés auxquelles l’équipe avait dû faire face les 4 années précédentes, alors que j'étais en poste depuis 8 ans, elle m’a dit que je ne faisais pas bien le mien de boulot et que s'il y avait des problèmes années après années alors que les élèves finissent par partir c'est qu’il fallait que je revois mon autorité auprès des parents et des élèves puisque j'étais à l'évidence la seule constante dans l'équation.). 
Elle a reconnu que l’aspect de la gestion de la sécurité et des risques avait fait exploser notre quantité de responsabilités, voilà voilà, elle l’a écrit et puis après chaque directeur est retourné dans son école. 
Ah non, j’allais oublier, elle nous a resservi le fait que les enseignants s’étaient opposés à la proposition du ministre de créer des postes de directeurs « par bassin de collège », alors que ça aurait été « drôlement bien », puisque elle à son niveau elle n’a « pas du tout le temps » d’être le supérieur hiérarchique des enseignants dans les écoles, puisque de toutes façons elle « ne les connaît pas ». La seule chose intelligente dans sa phrase c’était qu’effectivement, elle ne connaît pas les enseignants et ne fait aucun effort pour les connaître depuis qu’elle est arrivée, très clairement, elle s’en bat l’œil. Ce qui l’intéresse c’est de cocher les cases de ses objectifs sachant qu’un bon compte-rendu peut permettre de cocher une case, il n’est pas nécessaire d’agir concrètement, il suffit de bien savoir tourner des phrases. Le mec qui avait tourné le film « Etre et Avoir » dans une école de campagne, il pourrait tourner « Faire et Agir » au ministère à présent. Pour le reste, avant de partir on lui a quand même signifié qu’un directeur supérieur hiérarchique de plusieurs écoles dispersées sur un territoire cela n’avait vraiment aucun sens et que c’était vraiment méconnaître la réalité du terrain, mais bon, elle était en train de finir de taper son rapport alors ça l’a moyennement intéressée. 


Bien, bien, bien, on a bien bossé là je crois, on n’a pas avancé ni sur le statut, ni sur les fonctions, ni sur les difficultés, ni sur les moyens, ni sur … bref, pas d’éventuelles évolutions concrètes en vue … allez, allez, un peu d’enthousiasme, on a tout bien coché les cases du plan de com’, c’est une bonne chose de faite, question réglée. 

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