L'autrice de ce blog nous a quittés, et l'auteur de ces lignes est, en ce qui la concerne, son mari, et en ce qui concerne ce blog, son relecteur et premier fan.
Aujourd'hui, il m'appartient de conclure. Pas facile, c'est sûr, mais je vais essayer de rester dans le ton.
Elle est morte le 5 juillet, ses collègues m'ont fait remarquer que c'était le dernier jour d'école. Cette femme n'a jamais été avare d'ironie.
Elle n'était pas en poste bien entendu, son état a fait qu'elle n'avait pas travaillé depuis pas mal de temps, au grand désarroi de son inspectrice, elle avait appelé en début d'année d'ailleurs :
- "Bonjour, alors comment allez-vous ? Ce cancer, tout ça là, ça avance ?" (note à ceux qui ont des notions assez faibles en médecine : quand un cancer avance, en fait c'est pas bon, attention aux expressions que vous employez)
- "Je suis vraiment très fatiguée"
- "Oui c'est normal, mais vous allez vous remettre, vous allez voir. Ma soeur a eu un cancer, elle est pas morte vous savez. Du coup, je peux compter sur vous pour le poste de direction à la rentrée ?"
- "Ben, pour être claire, je viens de faire une double embolie pulmonaire, et j'attends d'être suffisamment remise pour entamer une nouvelle chimio, donc je pense que ça va être juste pour septembre."
- "Ah… Bon mais un mi-temps peut-être ?"
C'est vrai que si on calcule un peu, il y a plein de gens qui ont le cancer, et qui sont chez eux à rien faire, et de l'autre côté, l'Éducation Nationale manque de personnes à mettre en face des élèves. Pourquoi ne pas transformer un problème de santé publique en opportunité ? Aller hop, tous les cancéreux deviennent enseignants ! Punaise mais c'est une idée géniale, si Blanquère revient aux affaires, la vie de ma mère (alors là, je m'engage pas trop, elle aussi est morte du cancer, mais bon ça valide l'idée qu'il y a plein de gens qui ont le cancer) je lui fais un petit mail.
Enfin bon, pour la cérémonie funéraire, j'ai reçu des fleurs de l'inspection académique, avec une lettre, une vraie lettre d'ailleurs sur papier à entête et tout, pas une carte comme c'est le cas quand on envoie des fleurs en général. Ce détail m'a fait un peu tiquer, du coup j'ai regardé s'ils n'avaient pas mis en addendum "Mais sinon, pour septembre, si vous connaissez quelqu'un pour un poste de direction, ça serait top ! xoxo". Mais non. Ils ont dû oublier.
Alors voilà, cette année, personne ne va me demander pour le premier jour de classe "Alors, est-ce que je fais directrice habillée comme ça ?", cette année, on n'entendra pas dans un certain couloir d'une certaine école ses talons claquer avec furie sur le sol. Je la soupçonne d'avoir porté des chaussures à talons uniquement pour la présence sonore que ça lui conférait dans ce couloir. Le soucis c'est que les talons, des fois, ça casse. La semaine dernière, j'ai rangé la paire de chaussures de secours qu'elle gardait dans le coffre de la voiture pour ces cas-là (bon, j'ai pleuré, je crois que je suis pas près de jeter sa brosse à dents…).
Cette rentrée, elle ne la verra pas, mais vous, oui (enfin ceux qui ont choisi le même sacerdoce qu'elle). Alors, peut-être, essayez d'adopter son regard, et surtout gardez en tête son ton, celui qu'elle a développé dans ce blog depuis toutes ces années. Et si, comme elle, vous êtes fan d'Urgence, vous vous rappellerez le premier épisode où le vieux chef des internes passe le flambeau au jeune docteur Green et lui dit : "Mark, c'est vous qui donnez le ton maintenant", et c'est exactement ce que dira ensuite Mark à Carter, plusieurs saisons plus tard quand il abandonnera son poste car il est atteint d'un cancer (mais punaise c'est pas vrai, on est cernés, c'est pas possible, ce truc tue même les personnages fictifs !!!). Ce ton, c'est ce qu'elle vous laisse.
Restez dans le ton.
Commenter cet article