Le premier avril dans une école élémentaire c'est toujours un peu foufou, les gamins sont excités, ils adOOOOrent pouvoir coller des petits poissons dans le dos de la maîtresse de façon toujours pas du tout discrète et celle qui laisse faire se retrouve dès la fin de la matinée, décorée comme un sapin de Noël. Bref, c'est électrique.
Chez nous hier, le feu de l'hystérie a pris en CM2 dès 9h du matin et s'est propagé à grande vitesse dans toutes les classes.
Evelyne, ma collègue, avait décidé de planquer toutes les chaises de sa classe pour faire croire à ses élèves que c'était une décision des services techniques. Quand elle a exposé son idée dans la salle des maîtres, juste avant la sonnerie, j'ai bien senti que c'était un plan à dérapages mais bon, c'était son idée, moi je me suis dit, mettons un peu de fantaisie dans nos vies après tout si elle le sent ...
Bon le problème c'est qu'Evelyne, sa classe même en dehors du 1er avril c'est déjà la foire. Alors là, dès 9h30 on les avait perdus. Elle leur a fait chercher les chaises partout dans l'école, et quand ils les ont récupérées j'ai même vu une élève dans le couloir répéter 5 fois en criant à 10 cm du visage d'Evelyne "Tu nous as menti!" alors qu'Evelyne continuait de nier. Bref son poisson d'avril a duré un peu trop longtemps quoi. Elle n'a pas su recadrer les élèves pour les remettre au boulot, ils n'ont eu plus qu'une envie, lui faire des tours. Bref, bref, bref, à la récréation avec une autre collègue on a chopé 13 gamins qui couraient dans les couloirs alors qu'ils sont censés être dans la cour et sous surveillance à ce moment là de la journée, apparemment ils voulaient aller se cacher dans la salle informatique qui est tout de même dans le second bâtiment à l'étage, donc loin. Quand je leur ai fait la morale et que je les ai punis, une partie des gamins étaient en chaussettes, certains s'étaient gribouillé des moustaches, ça ne sentait pas le retour au calme et à la modération et il n'était que 10h30.
Moi hier matin j'ai enchaîné les réunions d'équipes éducatives pas toujours faciles. Dans ces cas là je laisse le récepteur de l'interphone à une collègue, donc ça lui fait du dérangement évidemment, ce truc qui sonne plusieurs fois par heure. En plus, hier matin, évidemment il s'était encore mis à déconner donc on n'entendait rien, obligée de se déplacer. Au cours de la première réunion, elle est venue me chercher parce qu'un gamin lourdement autiste qui arrive en décalé venait de sonner or son AESH personnelle isolée pour cause de Covid n'était pas là et qu'on n'avait rien prévu parce que le gamin n'était pas venu de la semaine. Donc là, le gosse qui ne supporte pas les changements voyant cette adulte qu'il ne connaît pas venir lui ouvrir la porte, la pauvre, il lui a filé des coups de cartable et ensuite il s'est barré en courant dans l’école. J'ai donc quitté ma réunion, pour récupérer le gamin, moi il me connaît un petit peu, et pour trouver à l'arrachée une solution avec une autre AESH qui a laissé les gamins qu'elle aidait en plan.
Pour les autres collègues c'était assez le bazar aussi, avec 3 enseignants absents pour raisons médicales hier matin et non remplacés, merci monsieur Blanquer, chacune s'est retrouvée avec une dizaine d'élèves en plus dans sa classe (il faut savoir que dans ces cas là, tous n'ont pas de chaises, certains sont assis par terre ou dans le couloir ou la pièce à côté si elle est vide). En plus, quand on fait des réunions d'équipes éducatives, l'enseignant qui vient à la réunion répartit aussi ses élèves dans les autres classes, le temps de la réunion. Cela crée donc du mouvement, un va et vient de gamins qui arrivent avec leur trousse et leurs exercices à faire pendant que leur enseignante est occupée.
Au cours de la troisième réunion, je me suis fait verbalement agressée par l'éducatrice du CMPP, une grande première pour moi, jamais cela ne m'était arrivé de la part d'un professionnel. J'avais déjà eu à faire à des psychologues en libéral hostiles à l'école, des orthophonistes ou psychomotriciennes qui veulent imposer à l'enseignant des façons de faire alors qu'elles (c'est souvent des femmes) reçoivent les gamins en tête à tête pendant maximum une heure et que les enseignants ont le même gamin entouré de 27 autres qui eux aussi ont des particularités à gérer et ce pendant toute la journée, donc y'a des choses qu'on peut mettre en place et on est ravi d'avoir des propositions de remédiations, mais d'autres non. Mais ça là, la meuf qui me hurle dessus devant les parents et menace de se barrer de la réunion parce qu'elle n'est pas d'accord avec ce que j'écris dans le compte-rendu, sachant que je le relis et le modifie s’il le faut avant de le faire signer et que je n'avais fait qu'écrire ce qu'elle avait dit, à savoir que l'ARS a donné comme directive au CMPP de s'occuper des élèves de Maternelle et du Collège en priorité, ce qui est officiel hein, elle ne révélait pas ici le secret de la Solution finale. C'était hyper choquant. La bonne femme s'est même levée à la fin, quand j'ai dit que j'allais aller imprimer le document pour le faire signer à tous ensuite, pour passer derrière moi et lire par dessus mon épaule sur mon écran d'ordinateur portable et vérifier que j'avais bien, comme je venais de lui dire, enlevé la phrase qui l'avait mise en furie. Non mais... pour qui elle m'a pris elle... sa secrétaire? punaise, j'espère qu'elle ne parle pas comme ça à sa secrétaire, la pauvre... c'est pas hyper déplacé ça comme comportement? Bon ça m'a tellement sidéré que dans l'après-midi je lui ai envoyé un mail pour lui dire que son attitude avait été totalement inappropriée et j'ai mis l'inspectrice en copie parce qu'on n'est pas là pour se faire engueuler, merde!
Pendant la pause méridienne, pas de réunion, repas rapide comme d'habitude mais tranquille, petite pause normale dans une réalité qui dysfonctionne. Bon, Evelyne avait des poissons d'avril collés jusque dans ses cheveux, on aurait dû savoir que c'était un indicateur sur l'échelle de Richter.
Les gamins sont revenus de la cantine encore plus excités qu'ils n'y étaient partis, à 14h, ils ne criaient pas tous, mais tous étaient touchés. Beaucoup d'ailleurs portaient sur leur visage les stigmates de cette hystérie, barbouillés de moustaches et autres peintures de guerre. Pendant l'après-midi, j'ai entendu depuis mon bureau des salves de cris venant tour à tour de cette classe puis de l'autre. Mes collègues tentaient courageusement de contenir les monstres que la fièvre du premier avril avait créée. Il ne leur restait plus que les hurlements comme dispositif après avoir lâché sur tout le reste.
En point d'orgue de cette journée d'hystérie collective, Mme Coucoubleu a eu la joie de découvrir à 14h qu'un parent d'élève, sans l'avoir prévenue à l'avance hein, sinon c'est trop facile à prévoir dans son emploi du temps de la journée, souhaitait que son gamin fête son anniversaire en classe et avait pour cela apporté non seulement un énorme sac de bonbons, briquettes de jus de fruits et paquets de tartelettes mais également un énorme gâteau, multicouches, avec plein de crème et évidemment, pas d'assiettes, ni de cuillères. Alors juste avant la sortie, elle s'est mise à faire la distribution, au pas de course, les élèves se sont retrouvés avec l'équivalent d'une feuille de sopalin dans les mains, garnie d'une dégoulinante part de gâteau à la crème, à manger au doigt ou la tête dedans...
Allez, ensuite tous les gosses sont partis et puis, comme lorsqu'on a vécu une épreuve collective, j'ai retrouvé là, au milieu du hall, quelques collègues qui avaient besoin d'extérioriser un peu leur souffrance du jour, certaines avaient les traits tirés, les yeux écarquillés, hagardes, les épaules légèrement abaissées, je me demande si y'en avait pas une avec les cheveux en bataille, on a ri là de ce qui venait de se dérouler, à écouter les anecdotes des unes et des autres, contentes d'avoir survécu à ce tsunami frénétique et de savoir qu'heureusement on était vendredi soir.
Aujourd'hui il neige, et comme me l’a très bien dit Mme Coucoubleu, quand même, quelqu'un quelque part a eu la bonne idée de nous épargner la neige hier, qui a coup sûr aurait ajouté son flocon à ce phénomène de turbulences.
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