Vendredi midi, après une matinée bien remplie, réunion d'équipe qui se prolonge. Repas vite avalé. Je pars en réunion à la Mairie, je reviens vers 16h, je sais que j'ai 1000 trucs à faire à commencer par des rendez-vous pour des inscriptions. Bref, je me prépare à bosser un moment avant de pouvoir partir en weekend pascal et prolongé.
18h25, le téléphone sonne, je décroche parce que je pense que c'est peut-être une personne que je viens d'appeler qui me rappelle. Erreur!
C'est la mère d'Adam, un élève de ma classe. Un nombril sur pattes, élevé par des parents qui pensent que ce n'est pas du tout parce qu'il ne s'intéresse qu'à sa petite personne qu'Adam (qui par ailleurs n'a aucun problème de compréhension) est à la masse. Ils pensent sérieusement que le problème vient du fait que ma collègue et moi on ne s'y prend pas comme il faut. Ben oui, encore un pour lequel il SUFFIRAIT de lui mettre la main sur l'épaule quand on passe des consignes orales, qu'on les lui passe SIMPLEMENT à lui tout seul droit dans les yeux, qu'on le mette devant toute l'année et aussi qu'on fasse tout un tas d'autres trucs (ils nous ont tout de même fait passer deux feuilles A4 avec des recommandations en recto-verso, si, si, pas embarrassés les gars, 4 pages et pas écrites en arial 98 hein, mais en 10 ou 12, tout ce qu'il y a de plus classique), toute une liste de recommandations pédagogiques qu'il serait envisageable de mettre en place, si on voulait bien faire un petit effort quoi, c'est pas compliqué pourtant.
La dame donc m'appelle à 18h25, alors que ça fait déjà 2h que je devrais avoir fini de bosser et que je suis loin d'avoir fini, la veille d'un weekend de 3 jours pour me dire quoi qui ne puisse attendre?
- Mon fils est rentré hier avec un hématome et apparemment c'est Anisse qui l'a frappé pendant la récréation. Alors je voulais savoir ce que vous comptiez faire?
- (Donc tu m'appelles 24h plus tard, le caractère d'urgence me saute bien bien aux yeux là. Je propose la lapidation, ça me paraît bien, ou alors "Qu'on leur coupe la tête!" tiens, je me sens devenir la reine de cœur d'Alice au pays des merveilles.) Et bien je note ce que vous me dites et je me renseignerai.
- Il est traumatisé, il pleure là, il ne voulait même pas que je vous appelle. Il a peur.
- (Traumatisme avec 24h de retard ... ok) mais il a peur de quoi?
- Ben des représailles.
- (De qui exactement? Quand je vous dis qu'il n'est pas bête du tout ce môme, c'est peut-être pas d'Anisse qu'il a peur mais de moi s'il a menti et qu'il s'est empêtré dans ses mensonges jusqu'à laisser sa mère appeler). Mais il en a parlé à la maîtresse?
- Oui et elle lui a dit qu'elle allait voir avec Anisse. Et donc je voulais savoir ce que vous allez faire. Parce que dans le compte-rendu du conseil d'école vous avez été très vague sur les mesures mises en place pour gérer les enfants violents, alors je voudrais savoir si vous avez demandé des renforts à la mairie ou à l'académie pour surveiller la cour.
- (Ou à l'armée aussi, vous avez oublié l'armée), des renforts? mais on n'a pas besoin de renforts dans la cour. (Non, ce dont on a besoin c'est d'enseignants spécialisés, de psy, de services sociaux, de places en IME, en ITEP, en hôpital de jour, au CMPP ... je suis même prête à donner l'adresse de certaines familles à Super Nanny.)
- Ah mais vous êtes dans le déni alors!
- ??? Mais de quoi vous me parlez?
- Vous êtes dans le déni, c'est ça!
- (Mais c'est que tu me fais chier toi. Je suis occupée, j'ai encore des tonnes de choses à faire, on est vendredi soir, il n'y a aucune urgence et tu crois que par téléphone je vais comme ça, à toi, rendre des comptes sur mon boulot, sans compter que je ne peux déontologiquement pas dire plus que ce que j'ai déjà dit en conseil d'école et tu en as lu le procès verbal. Alors c'est quoi ton problème Colombo? Et de toutes les façons, qu'est-ce que tu me racontes là, EXACTEMENT, de quelle situation, de quels faits tu me parles?) Vous me parlez de quoi?
- Ah ben bravo, j'appelais pour rassurer mon fils et là vraiment... vous êtes totalement dans le déni!
- Mais vous me parlez de quoi?
- Mais de toute cette violence, il y a même eu un article dans le journal.
- (Ah là on est d'accord, tu ne sais pas de quoi tu parles, tu me parles de TOUTE cette violence, mais tu ne sais pas du tout de quoi il retourne, et oui parce que jusqu'à présent, on en a eu des problèmes dans cette école, mais ça t'a jamais gêné, mais là attention, TU AS LU un article, sonnez hautbois, résonnez trompettes!) Oui enfin madame, si vous croyez tout ce qui est écrit dans le journal ... (franchement, il y a eu un article concernant la violence dans notre école dans le journal local, tout pourri, rempli de contre-vérités voire même de mensonges. Que de la merde. Le journaliste, s'il avait bossé mieux, aurait pu faire un article intéressant mais non, il a rempli de l'espace avec du vent. Archi naze son article. Alors tout le monde sait que bon c'est pas Le Monde ou Médiapart mais quand ça les arrange, il est adéquat d'y faire référence sans s'être intéressé auparavant à la qualité de son contenu).
- Ecoutez, vous me parlez d'un coup que votre fils a pris en récréation, je vais me renseigner auprès de la maîtresse et puis on verra ça mardi. Si elle a dit à Adam qu'elle s'occupait d'Anisse c'est qu'elle l'a fait. (Vérifications faites après, Adam n'a rien signalé du tout à ma collègue, même pas qu'il avait pris un coup et avait l'air tout ce qu'il y a de plus tranquille en classe après la récréation de jeudi après-midi, donc le traumatisme sent déjà un peu le pâté quand même.)
Je n'en reviens pas, mais à quoi pensent les gens? Un gamin a pris un coup en récréation, on est d'accord ce serait mieux que ça n'arrive pas, qu'il y ait des fleurs (sans épines) et du coton partout (des boules de cotons pastels comme il y avait dans la salle de bain de ma tante dans les années 80, ça me faisait rêver à l'époque), mais bon, sachant que les adultes cons étaient à 92,7% des enfants cons, c'est pas parce que j'aurai fait quadriller ma cour par 150 GI armés jusqu'aux dents qu'on empêchera un gosse de donner un coup de pied ou de poing à un autre. Même surentraînés, le gars aux aguets ne va pas se jeter entre la main de l'un et la tronche de l'autre. Non mais même Valls s'était fait gifler par un type, pourtant il était bien protégé.
On a des emmerdes par dessus la tête, on vit des trucs inqualifiables mais les gens qui se manifestent autour soit font partie de notre hiérarchie et s'empressent de minimiser les choses et de les étouffer sous une tonne d'éléments de langage éculés ("ECULES!") soit ce sont des parents qui voient les choses par le tout petit bout de la lorgnette et croient vraiment que la solution passe par le fait de faire chier ceux qui, sur le terrain, font déjà tout ce qu'ils peuvent. J'ai bien peur que les choses n'aillent pas vers du mieux hélas, à moins que les masses silencieuses ne se soulèvent... je crois que je vais me laisser pousser la barbe et le béret moi.
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