Je suis à mon bureau, à fond, je suis comme une pieuvre, j'ai un bras qui se lance pour attraper le téléphone, un autre qui colle le combiné de l'interphone à mon oreille pour que je puisse répondre à la sonnette de l'entrée, un autre qui se finit par une main qui surligne un doc envoyé par l'inspection, un autre par une main qui rédige un truc, deux autres mains sur le clavier de l'ordi ... plein de bras et de jambes dans tous les sens et une tête énorme qui essaye de penser à tout en même temps ...
Et d'un coup je vois passer dans le couloir un clone de Maître Gims avec sa casquette sur la tête et ses très grosses lunettes de soleil. Je me lève d'un pas souple et feutré et rentre en mode Mime Marceau, je le suis. Arrivé à l'extérieur, il s'arrête, avec l'air de quelqu'un qui fait le tour du propriétaire et fait mentalement quelques constatations. Là, j'entre en scène, et lui demande de me confirmer qu'il fait bien partie des services techniques municipaux (il m'avait bien semblé la veille les avoir aperçus, lui, sa mine patibulaire de chez Strass, Bling & Toc et un des techniciens).
Il me répond à peine, prend la pose.
Je commence à lui expliquer gentillement que pendant le temps scolaire s'il vient travailler dans les locaux il doit se présenter à moi qui suis soit en classe, soit à mon bureau.
- Ah ouais! Et il est où vot' bureau?
Je sens le "Ouaich madame mais t'es qui toi?" qu'il réprime.
- Et bien je vais vous montrer.
Et là je le fais donc passer devant moi et réalise qu'à présent qu'il se sait suivi il a adopté une démarche genre "j'ai un pied bot à droite mais tu vois, je chaloupe", je me marre intérieurement et en rajoute:
- Ah et il faudra enlever vos lunettes, là, et votre casquette.
Il enlève ses lunettes tout en chaloupant du pied bot et me jette un regard de dédain par dessus son épaule droite.
- Et la casquette aussi ...
Eh, eh, eh
Il s'exécute. Je lui montre où se trouve ma classe, il s'en fout et recommence à claudiquer dans le couloir. On arrive devant mon bureau, je reprends les mêmes explications, toute en légèreté et voix chaleureuse.
Lui, il pose dans le hall, les bras croisés, la tête légèrement penchée. Il me fait penser à Moussier Tombola qui chantait "Corde à sauter-er-er" ou aux gamins cet été qui finissaient leur chanson sur les crottes de nez qui pendent par "Respect", les bras croisés, bien campés sur leurs jambes.
Et puis je n'avais même pas terminé ma phrase qu'il a tourné les talons et m'a ensuite lancé, sans se retourner :
- Et merci pour ce renseignement!
Il m'a fait marrer lui, je trouve toujours qu'il est étrange de rencontrer des gens qui sont de véritables caricatures. J'ai appris ensuite qu'en fait c'était un TIG (un jeune homme qui a été condamné à des travaux d'intérêt général par la justice, histoire de lui éviter la prison), et qu'il n'était pas censé se balader autrement qu'accompagné.
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