Ce qui est bien avec la rentrée c'est que tu retrouves ta baraque exactement dans l'état où tu l'as laissée. Pendant les vacances il n'y a pas eu de magie, les collègues chouettes qui devaient partir ne se sont pas restés, ceux dont la gueule ne te revient pas sont quand même bien arrivés là, la poussière qui était là en juillet sur tes étagères est bien là en septembre et les élèves que tu aurais voulu oublier sont bien là eux-aussi avec leurs parents et leurs problèmes et inversement.
Tout ça pour dire que notre ami Manu qui se baladait en juin dans ma classe avec la poubelle sur la tête est toujours là et grâce aux services de soins qui n'ont pas fait l'an dernier leur boulot comme il faut, toujours sans aucune aide. Grâce à notre opiniâtreté, ce gamin a obtenu une reconnaissance de son handicap et des aides ont été accordées, mais pour le moment, on attend que celles-ci soient effectives. Et vu que y'a que les gosses et nous que ça perturbe et bien on en est là, une main devant, une main derrière comme qui dirait!
Alors lundi, j'étais au bureau et d'un coup j'entends gueuler Mme Cédepé, sa chanceuse enseignante pour cette année. Je me dis "Vas-y, va le chercher pour soulager un peu la classe et montrer au gosse qu'on ne peut pas tout lui laisser faire".
J'entre dans la classe :
- Allez Manu, tu vas venir avec moi.
Lui, tout en jouant à cache-cache, si tu vas à droite je vais à gauche de la table et inversement :
- Naan, j'ai pas envie de venir avec toi.
- Ah mais moi non plus je n'ai pas VRAIMENT envie que tu viennes avec moi, mais tu vois là, dans la classe tu fais trop de bruit, tu empêches tout le monde de travailler.
Il s'en va se coincer derrière une table contre un radiateur, je lui chope le bras, il se jette au sol pour essayer de m'échapper, se cogne la tête au passage au radiateur, s'écroule. Je lui attrape le poignet gauche, il se débat comme un possédé, je lui attrape la cheville gauche, sa maîtresse fait de même à droite, lui est en plein exorcisme, il hurle, se tord dans tous les sens, on se retrouve à le passer par dessus élèves et cartables, lui tendu comme un arc, renversé complètement en arrière, la tête vers le bas.
On arrive à mon bureau, on le pose au sol, ma collègue retourne récupérer sa classe sous le choc, et elle dans le même état. Je me retrouve avec ce gosse allongé sur le lino, moi en mode "Vis ma vie de chasseur de gnous", j'ai un genou sur lui pour le contenir, j'essaie de lui parler calmement mais je sens que j'ai la tension à 25/15. Doucement je libère mon emprise et lui, de sa petite voix de gamin de 7 ans il me lance :
- Toi, je ne t'adrESse plus la ParOle! avec un accent à la Pagnol, genre "Tu me fends le cœur!".
J'ai envie de rire mais sur le moment, la tension est la plus forte. Je le laisse, retourne m'asseoir et lui se carapate sous des chaises et une table basse qui sont contre le mur. Il s'étend là.
15 à 20 minutes plus tard, je lui propose de retourner en classe en lui indiquant que je serai obligée de revenir le chercher s'il ne se tient pas bien. Il promet. Personne n'y croit je pense mais bon, c'est ce qu'il faut dire alors...
A peine 15 minutes plus tard je suis de retour, rebelote, là on l'extrait de la classe et on le pose dans le couloir. Comme il se débat et ne veut toujours pas venir, je me vois obligée de le tirer par les bras, j'ai l'impression d'être un homme de Cro Magnon qui ramène son gibier. Là, petit moment surréaliste, si je puis dire, je croise dans le couloir les 2 mômes d'une collègue qui s'en vont gaiement faire une photo de fratrie, oui c'est le jour de la photo de classe :
- Salut les gars, ça va?
L'autre est au sol, il grogne, crie "Sauvez-moi!". J'arrive à l'emmener jusqu'à mon bureau, le lâche et là il me dit :
- AlORs là, ma ParOle, c'est sûr que là, je ne t'adrESse plus JAMais la ParOle!
Le sketch ...
5 minutes plus tard il était assis sur une des chaises et il me disait :
- Euh, dis madame la directrice, ça fait combien de temps que je suis là? une demi-heure? trois quarts d'heure?
- 5 minutes! ça fait 5 minutes ...
Et il a continué à me taper la discute comme si de rien n'était, comme si on était là tous les 2 dans une salle d'attente, tranquilles.
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